Parmi les musiciens les plus illustres dont l’archet savait émouvoir et mettre en joie les cœurs réunionnais en caressant les cordes d’un violon unique en son genre, un monument s’en est allé. Ce violon, d’un bleu devenu mythique, appartenait à Fred Espel, de son vrai nom Julien Espel — un nom qui résonne désormais comme une note éternelle dans le grand orchestre de l’histoire musicale réunionnaise.
Un parcours musical exceptionnel
Né en 1938, Fred Espel grandit dans une famille baignant dans la musique. L’orchestre Arlanda, où son père faisait sonner un banjo, fut son premier berceau musical. Il apprit le solfège auprès de Jules Fossy, pris des cours auprès d’Evenor Lacouture et très tôt, la musique devint pour lui un refuge, un souffle.
L’aventure le mène ensuite à Madagascar, dans les années 60, où il intègre l’orchestre professionnel de Julien Vauzelle. Cette parenthèse hors de sa terre réunionnaise affine son oreille et son style. Mais c’est bien à La Réunion qu’il écrit les plus belles pages de son parcours.

Club Rythmique, tubes et transmission
Il joue aux côtés de Claude Vinh San dans l’orchestre Jazz Tropical, puis cofonde en 1968 le Club Rythmique avec Michel Adélaïde et Bernard Bertini — formation légendaire qui électrisa les bals populaires et marqua des générations de réunionnais.
Auteur-compositeur fécond et brillant, il signe des titres devenus emblématiques : Ti case en paille, Bal la poussière, Sur le pont d’Zaviron, ou encore Séga Coup d’Vent. Des morceaux qui racontent l’île, la terre, les amours simples, les souvenirs doux-amers.
Une empreinte indélébile
Fred Espel est également la cheville ouvrière de la plus fantastique usine à tubes de l’histoire réunionnaise : les studios Jackman. Aux côtés de figures telles que Jacqueline Farreyrol, Maxime Laope ou encore Michou, il façonne un répertoire alliant technique, émotion et identité.
Artiste d’une grande humilité, il n’a jamais recherché la lumière pour lui-même. Et pourtant, la République l’a salué en le nommant Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres le 21 juin 2010.
Hommages et mémoire vivante
En avril 2016 et octobre 2022, deux grandes soirées d’hommage au TÉAT Plein Air lui sont dédiées. Plusieurs générations d’artistes (Natacha Tortillard, Serz Daffreville, Bernard Joron, Nirina Sulette, Jean-Marc Pounoussamy, Jacky Lechat…) reprennent alors ses morceaux, les réinventent, les embrassent à leur tour. En 2024, c'est au pied de son immeuble que ses amis artistes lui offraient une ultime déclaration d'amour.
Fred Espel fut un passeur. Un pont entre les âges, les styles, les gens. C’est un zarboutan du panthéon de la culture réunionnaise. Son œuvre est un zarlor vivant.
« Mais si le soleil la bien pété
Pécheur Quat’sous – Fred Espel (auteur/compositeur), Le Club Rythmique (interprète)
La mer i vien caresse ton pied
ti sa obligé rest la journée
Ma mèn deux gaulettes pou pêcher
Moin la point un bon moulinet
Deux trois sardine nou va manger
Ma rouv toujours la radio
Ma écoute bien la meteo
A soir ma rentré nou va chanter »
Roger Ramchetty, Président du CCEE, ainsi que les membres du Conseil adressent leurs sincères condoléances à sa famille, ses proches et à tous ceux qui ont aimé son œuvre.
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